Séance de soutien à la parentalité organisée par l’asbl Paroles le vendredi 23 février 2018.

Thématique de la séance : L’épuisement parental

Emile Noël, docteur en Psychologie à l’UQAM (Université du Québec A Montréal), a animé cette séance d’échanges autour de l’épuisement parental. L’idée globale était celle de susciter la prise de conscience et la question de la responsabilité de chacun face à ce phénomène d’épuisement parental vécu au quotidien et ainsi de cerner quels leviers actionner en vue de minimiser cet épuisement.

En un premier temps, nous avons évoqué ensemble ce que les termes « épuisement parental » suscitaient dans les représentations de chacun. Les éléments principaux faisaient tous allusions à une certaine charge mentale (surmenage, aucun temps de réel repos, penser à demain, au futur,…) ainsi qu’à la notion de contrôle (le souci de bien faire selon un standard personnel).

Les origines de l’épuisement parental
Comment en sommes-nous arrivés là ? Qu’est ce qui a fait que nous en sommes arrivés à ce modèle d’organisation ? Les réponses sont rapides et s’orientent vers l’éducation, vers la reproduction d’un schéma personnel que chacun aurait toujours connu hérité par la famille. Ensuite, l’aspect du modernisme, de la modernité, qui a profondément modifié le schéma familial d’il y a quelques décennies est évoqué. « Qu’est ce qui fait que je me sens obligé de travailler plus que de raison, pour offrir des choses matérielles à mes enfants et à moi-même qui ne sont en réalité pas des besoins ? » La peur que quelque chose arrive, qu’une catastrophe économique survienne est évoquée. Cette crainte, est un symptôme typique de l’épuisement parental selon Mr Noël.

L’évolution de la société est évoquée bien évidemment dans ce phénomène d’épuisement. En effet, auparavant, le rôle de la femme ainsi que celui de l’homme étaient fortement déterminés. Il y avait dès lors un consensus global sur les valeurs et les rôles de chacun. Maintenant, les deux parents travaillent, ils rentrent donc tous les deux épuisés ou fatigués. Le partage des tâches est dès lors de mise à la maison. Le cerveau de chacun est sans cesse à la recherche de tâches qui doivent être remplies. Cela génère beaucoup de stress, qui se répercute bien sûr sur ce sentiment d’épuisement. Ainsi, même le sommeil est impacté. En effet, nous sommes tellement occupés à planifier et à nous projeter au lendemain que le cerveau peine à réellement trouver le repos salvateur, le repos régénérant.

Quelle part de responsabilité personnelle ?
Par la suite, un consensus se met en place : celui que chacun se crée dans une certaine mesure son propre état d’épuisement. En effet, l’idée que la délégation de certaines tâches est possible en soi est avancée. Cependant il semble que le choix est posé de ne pas le faire. Peut ensuite survenir un processus de plainte : « Je ne suis pas aidée », « Mon mari aurait dû deviner que j’avais besoin d’aide », etc.

L’analyse va plus loin : parce que le parent n’est et n’a pas habitué à ce fonctionnement de délégation, de demandes et de répartition des tâches, il devient ensuite trop tard pour que les tâches soient réparties de manière naturelle. Le mari ou l’épouse se voit dès lors reprocher d’être passif/ve ou de ne pas être suffisamment compétent(e) pour l’accomplissement de certaines tâches.

Ensuite, la question du plaisir est soulevée. Quel plaisir, conscient ou inconscient, est retiré de cette situation de vouloir tout faire ? Immédiatement, les mots « contrôle » et « perfection » sortent et font office de réponse. Il y a donc la satisfaction que les choses soient accomplies d’une certaine manière qui est propre à chacun. Dans ce cas, partager ou déléguer n’importe quelle tâche avec quelqu’un, qui que ce soit, n’apportera pas la même satisfaction une fois réalisée, car elle n’aura pas été faite selon les standards personnels. Cela sera moins bien fait par défaut. Ces réflexions sont mises en parallèle avec le concept de TOC, Trouble Obsessionnel Compulsif. En effet, un parent avait formulé ceci « Je ne peux pas m’empêcher de… » Comme si une force agissait contre laquelle il n’est pas envisageable de lutter.

Le rapport au temps dans le phénomène d’épuisement
Auparavant, les tâches se répartissaient dans le temps : un jour était dédié à la lessive, un autre jour était dédié à la cuisine pour toute la semaine, un autre était dédié au ménage,… Or dans notre société moderne, il est maintenant possible d’étager, les tâches. Au lieu d’un modèle temporel horizontal et séquentiel, il est maintenant possible de verticaliser les tâches et ainsi de passer d’un mode séquentiel à un mode multitâche : pendant que ma machine à laver le linge tourne, je peux cuisiner, pendant la cuisson, il est possible d’aspirer, etc. Cela stimule ce que nous pouvons appeler « la charge mentale ».

La charge mentale est décrite comme un fonctionnement cérébral permanent : penser sans cesse à ce qui doit encore être accompli, à comment pouvoir organiser son temps pour que tout soit réalisé. Comment optimiser ce temps afin de pouvoir en gagner le plus possible ? Je ne peux plus être dans le présent car je suis en permanence dans le futur plus ou moins proche. Il y a peut-être cette sensation d’être continuellement dans l’urgence et qu’il faut sans cesse parer au plus urgent, tout cela dans un rythme effréné. Cette sensation d’urgence est due au fait qu’il devient très difficile de hiérarchiser les tâches, car elles revêtent toutes la même importance, à peu de choses près.

Les symptômes de l’épuisement (parental)
Les symptômes de l’épuisement sont alors abordés : comment repérer une personne qui bascule dans l’épuisement ? Quels sont les éléments perceptibles qui permettraient de déceler la venue de cet épuisement ?
Les éléments cités sont les suivants : l’insomnie, les douleurs musculaires, l’hypersensibilité, l’irritabilité, la colère, un sentiment de frustration et de contrainte constant, la sensation de n’être réellement compris par personne. Ces manifestations observables sont les signaux que la personne est en train de basculer dans l’épuisement.
Un parallèle se fait très vite dans le public avec le phénomène du burnout. Ce phénomène apparait effectivement, lorsqu’une personne ne sait pas remplir, ne sait pas satisfaire les demandes qui lui sont faites faute de moyens. Il y a la contrainte du temps, mais également les contraintes matérielles et environnementales qui sont impliquées dans les causes du burnout. Il y a donc une insatisfaction, une frustration permanente car il est impossible d’aller jusqu’au bout de la tâche demandée compte tenu des conditions existantes pour la remplir. Le sentiment de satisfaction qu’une personne retire de l’accomplissement d’une tâche ne peut quasiment plus exister par manque de temps. Nous n’avons plus le temps de nous satisfaire, de nous émuler à partir d’une tâche que nous avons accomplie, nous sommes déjà dans la tâche suivante. Or, cette satisfaction, ce sentiment de bien-être est indispensable pour nous permettre de nous régénérer. La présence ou l’absence de ce sentiment de satisfaction est le facteur qui permet de différencier la fatigue de l’épuisement.

L’impact de cette fatigue et de cet épuisement sur le couple est également abordé. Nous parlons alors d’un certain éloignement au niveau du couple car la gestion du stress et des tâches sont omniprésentes et prennent le pas sur la vie affective et sur l’attention qu’il est possible de donner au partenaire.

Les pistes de solutions à envisager face à l’épuisement
Nous abordons ensuite les pistes de solutions qu’il est possible d’envisager. Une constante dans les pistes proposées par le public tourne autour du temps, de la prise de recul, de se dédier du temps à soi, mais également de pouvoir prendre du temps ensemble, en famille : se raconter et écouter l’autre. C’est une manière de s’accorder de l’importance.

Le temps est la plus grande richesse que l’homme possède. Ce temps est découpé en différents sous-temps : le temps professionnel ou scolaire, le temps personnel, le temps familial, le temps administratif, le temps de sommeil et de repos, le temps social et le temps affectif. Il est très important de faire le bilan, sur une semaine type, afin de constater si chacun de ces temps existe et dans quelle proportion. Une fois en équilibre dans ces temps, il serait important de les ritualiser. En s’y inscrivant, il sera alors possible de se placer dans un schéma qui structure et qui assure à chacun de pouvoir disposer de ces temps. Un autre problème de cette époque est l’absence globale d’horaires. Or ces horaires ritualisés et structurés sont très structurants et rassurants pour tout un chacun.

La profonde transformation de la société, qui est celle de la société de consommation, a bouleversé la structure du temps en modifiant nos désirs qui, pour être assouvis, car perçus en tant que besoins, nécessitent de dédier plus de temps au travail. Cela a impacté notre rapport au temps de manière profonde. Or c’est ce rapport au temps qui semble problématique à ce jour. Cela dit, nous avons toujours la liberté de choisir comment distribuer notre temps : si j’estime qu’il est plus important pour moi d’offrir une tablette à mon enfant plutôt que de jouer avec lui, je dois me résoudre à passer plus de temps au travail. Cependant, il faut prendre conscience qu’un choix est alors posé et qu’il doit donc être porté, assumé.

Pour conclure, il serait important que chacun ait l’occasion de faire le bilan du découpage de son temps. De cette manière chacun pourrait en un premier temps constater ou non la présence d’un déséquilibre notoire dans son temps hebdomadaire pour ensuite faire le choix d’aménager les choses différemment. Chacun peut agir à son niveau sur son organisation, de plus, il est important d’incarner les changements que nous voulons voir apparaître. Ainsi il s’agit d’abord de se transformer soi-même avant de demander à l’autre, conjoint ou enfants, de se transformer.

Un outil est mis à disposition à Paroles pour faire ce travail d’élagage. Une fois le constat réalisé, chacun sera libre de prendre ses décisions. Pour d’autres pistes des réflexions, il existe des ouvrages dont notamment « La charge mentale des femmes et celle des hommes » d’Aurélia Schneider traitant de ladite question. Il existe également d’autres portes d’entrée pour prolonger cette réflexion autour de la charge mentale telles que la simplicité volontaire qui prône le choix conscient et volontaire d’une vie plus simple débarrassée des contraintes apprises et répétées. Il existe également le concept de sobriété heureuse de Pierre Rabhi qui pose une réflexion autour de la société actuelle et des tourments dans laquelle elle peut nous entraîner. Il existe également le mouvement minimaliste qui commence à se faire connaître ci et là et qui a pour vocation le détachement de l’aspect hyper matérialiste de la société actuelle. Tous ces prismes à travers lesquels il est possible de percevoir le monde autrement peuvent prolonger la réflexion qui a été menée ce vendredi 23 avril au sein de l’asbl Paroles.

 

Ouvrages relatifs à la thématique :
Aurélia Schneider ; La charge mentale des femmes et celle des hommes : Mieux la détecter pour prévenir le burnout ; Larousse ; 2018
Fumio Sasaki ; L’essentiel, et rien d’autre ou comment le minimalisme peut vous rendre heureux ; Tredaniel ; 2017
Pierre Rabhi ; Vers la sobriété heureuse ; Actes Sud Edition ; 2013
Serge MONGEAU ; La simplicité volontaire, plus que jamais ; Ecosociété ; 2005